Nature des lettres
Ce que nous appelons ici « lettre » relève en réalité d’un genre hybride. Il s’agit tout autant, en effet, d’un journal personnel que d’une correspondance, car ces lettres n’attendent pas de réponse similaire, par retour. Elles sont à sens unique. C’est pourquoi nous ne publions pas les réponses de Hugo. Hugo écrit lui aussi à Juliette Drouet (voir le volume double publié en coffret par Jean Gaudon et Evelyn Blewer, cité en bibliographie), plus abondamment dans les premières années de leur liaison, puis, le plus souvent à des dates rituelles (anniversaire de leur rencontre, anniversaire de la naissance de Juliette, Sainte Julie, jour de l’an). Il lui écrit aussi dans des circonstances particulières liées à un éloignement forcé (un voyage entrepris sans elle, ou la maladie), mais c’est très exceptionnel. N’attendant pas de réponse écrite, les lettres de Juliette Drouet ne sont donc pas à proprement parler une « correspondance ». Selon les époques, leur fonction a varié, et elle est fréquemment commentée par Juliette Drouet elle-même.
Pendant les toutes premières années de la relation, il s’agit principalement de billets servant à donner un rendez-vous, à délivrer des messages brûlants, ou alarmants. Au fur et à mesure que la relation s’installe, les lettres de Juliette Drouet deviennent quotidiennes, et parfois pluriquotidiennes, sauf pendant les voyages qu’elle fait avec Hugo, où elle n’a généralement plus besoin de lui écrire, puisqu’elle passe alors la journée avec lui. Le reste du temps, Juliette Drouet vivant séparée de Hugo, les lettres lui servent à tromper son ennui, à faire pression sur son amant, à réclamer sa venue, et à rendre compte de l’emploi du temps de sa journée, comme des mouvements de son âme. Hugo exige d’elle cette « restitus » quotidienne, proche, par certains aspects, de la pratique religieuse de la confession. À la fin de leur vie, même lorsqu’ils vivent sous le même toit, elle garde l’habitude de lui écrire quotidiennement. La lettre remplit alors plus qu’auparavant une fonction d’agenda, ou de memento, sans perdre pour autant sa fonction de conversation solitaire.
Conservées précieusement par Hugo, qui les restitua, à la mort de Juliette, au neveu de cette dernière, Louis Koch, ces lettres procurent une trace continue de la vie privée de Hugo, telle que Juliette Drouet pouvait la connaître. Comme le Journal de l’exil tenu à Jersey par sa fille Adèle, comme le Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie écrit par sa femme et publié anonymement en 1863, les « restitus » de Juliette Drouet participent de cette écriture hugolienne de soi par les autres. Mais elles relèvent aussi, et surtout, d’une pratique auctoriale authentique. Le compte rendu monotone des travaux et des jours y côtoie les saillies les plus spirituelles et de sublimes morceaux de prose poétique.
Lieux de conservation
En 1969, La Bibliothèque nationale de France a fait l’acquisition de près de dix-sept mille lettres qui appartenaient au peintre Louis Icart (et avant lui à Georges-Emmanuel Lang). La Maison de Victor Hugo (Paris) en possède un peu plus de mille. On en trouve également à la Bibliothèque historique de la ville de Paris, à la Maison de Poésie - Fondation Émile Blémont (Paris), au musée des Lettres et Manuscrits (Paris et Bruxelles), à la Maison littéraire de Victor Hugo (Bièvres), à la Maison Vacquerie - Musée départemental Victor Hugo (Villequier), à la médiathèque La Clairière (Fougères), à la bibliothèque patrimoniale Romain Gary (Nice), au musée de Waterloo (fonds José Camby), aux Archives et Musée de la Littérature (Bruxelles), dans des bibliothèques américaines universitaires (Yale Beineke Library, Harvard Houghton Library, Syracuse University Library) ou publique (Pierpont Morgan Library), dans des collections particulières.
Nous remercions Claude de Flers et Elsa Martayan de nous avoir donné accès aux leurs.
Les autres collectionneurs désireux de nous transmettre les transcriptions des lettres en leur possession peuvent nous contacter. Nous indiquerons comme source la mention qu’ils souhaiteront voir figurer sur le site, dans les termes qui leur conviendront.
Identification des lieux de conservation dans les transcriptions
- BnF : Bibliothèque nationale de France
- MLM : Collection particulière / Musée des Lettres et Manuscrits (Paris)
- MLVH : Maison littéraire de Victor Hugo (Bièvres)
- MVHP : Maison Victor Hugo (Paris)
- MV-MVH : Maison Vacquerie - Musée départemental Victor Hugo (Villequier)
- Fougères : Médiathèque La Clairière (Fougères communauté), Fonds patrimoine
- Archives et Musée de la Littérature, Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles
- Harvard : Harvard Houghton Library
- Pierpont : Pierpont Morgan Library
- Syracuse : Syracuse University Library
- YUL, BL : Yale University Library,Beineke Rare Books and Manuscripts Library
Principes de transcription et d’annotation
Juliette Drouet ponctue très peu, et marque rarement l’initiale en début de phrase. Nous restituons la ponctuation nécessaire à la correction syntaxique minimale. Mais nous ne rajoutons pas toutes les virgules qu’un usage puriste exigerait, afin de ne pas dénaturer le style fluide et coulé de Juliette Drouet.
Nous corrigeons les erreurs d’orthographe involontaires, et les signalons en notes manuscriptologiques. Nous ne signalons pas les accents ou tirets oubliés ou fautifs, trop nombreux, ni les manquements à la ponctuation.
Juliette Drouet invente de nombreux néologismes, pratique les jeux de mots, et utilise un vocabulaire amoureux codé. D’où des orthographes qui peuvent paraître fautives, mais que nous avons conservées telles quelles, sans jamais indiquer [sic], puisqu’elles sont volontaires. Un glossaire élucide leur sens.
Juliette Drouet écrit certains mots plus gros que les autres, pour les mettre en valeur. Nous les transcrivons en capitales.
Nous passons en italique ceux qu’elle souligne, conformément à l’usage typographique.
Les mots ou passages ayant résisté à la lecture sont notés [illis.]. Les lectures conjecturales sont notées entre crochets, suivies d’un point d’interrogation avant le crochet fermant.
Dans la date, nous rétablissons le millésime, lorsqu’il manque, en l’indiquant entre crochets. Entre crochets, aussi, les mots manquants rétablis lors de la transcription.
En marge de chaque lettre, un cartouche identifie son lieu de conservation, sa cote, ses transcripteurs, ses éventuelles publications antérieures (développées en bibliographie).
Les notes manuscriptologiques, appelées par des lettres, signalent les erreurs ainsi que les accidents et particularités notables du manuscrit.
Les notes explicatives, appelées par des chiffres, élucident le lexique, les circonstances biographiques et historiques, les toponymes, les citations littéraires et culturelles, et autres allusions. La mention « à élucider » signale une note en souffrance. Tout lecteur susceptible d’aider à son élucidation est appelé à se faire connaître via la rubrique « Contacts ». Il en sera remercié dans l’annotation corrigée.
Les noms de personnes sont élucidés dans les notices biographiques.
Anthologies
Plusieurs anthologies sont disponibles dans le commerce :
Drouet (Juliette), Lettres à Victor Hugo, texte établi et annoté par Evelyn Blewer, nouvelle édition revue et augmentée, préface de Jean Gaudon, Fayard, 2001. Référencé « Blewer » dans les sources imprimées de notre édition.
Drouet (Juliette), Lettres familiales, texte établi et présenté par Gérard Pouchain, Éditions Charles Corlet, 2001.
Drouet (Juliette), Mille et une lettres d’amour à Victor Hugo, choix, préface et notes par Paul Souchon, Gallimard, 1951, coll. « L’imaginaire », Gallimard, 2002. Référencé « Souchon » dans les sources imprimées.
Hugo (Victor) / Drouet (Juliette), Cinquante ans de lettres d’amour (1833-1883). Lettres de l’anniversaire, Ouest-France, 2005. Référencé « Pouchain » dans les sources imprimées.
Lettres inédites de Juliette Drouet à Victor Hugo, éditées par Marva A. Barnett et Gérard Pouchain, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2012. Référencé « Barnett et Pouchain » dans les sources imprimées.
Les lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo choisies par Jean Massin pour l’édition chronologique au Club Français du Livre reprennent des lettres déjà publiées dans des éditions antérieures, principalement celle de Paul Souchon chez Gallimard. Référencé « Massin » dans les sources imprimées.
Une anthologie spécifiquement consacrée aux lettres concernant l’œuvre de Victor Hugo est disponible sur le site du Groupe Hugo.
